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GERRY MULLIGAN/ UNE DES FIGURES DU COOL

Les saxophonistes barytons ne sont pas nombreux en Jazz. Parmi les plus célÚbres, Pepper Addams, Leo Parker et bien sûr Gerry Mulligan sont incontournables.
La sonorité de cet instrument est fascinante, des notes graves qui crépitent, envoyées souvent par un souffle puissant.
Contrairement au Be-Bop, Gerry ne lançait que quelques notes dans un swing chaleureux.
Il composa des thĂšmes devenus des standards, par exemple “Bernie’s Tune” ou “Line For Lyons”. Il Ă©crivit des arrangements pour orchestre et joua avec de nombreux grands artistes comme Paul Desmond, Thelonious Monk, Chet Baker, Stan Getz.
Il joue sur la session historique de “Birth Of The Cool”, un album de Miles enregistrĂ© entre 1949 et 1950. Il compose “Jeru” duquel ressortent les toiles sonores des soufflants, sur une structure peu commune trĂšs particuliĂšre, qui ne ressemble pas aux cycles habituels. L’idĂ©e de ce changement de structure est innovante, les arrangements lumineux.
Ce qui est particulier chez le baryton, c’est la sonoritĂ© et l’approche du Jazz Cool qu’est celle de Gerry. Ayant ancrĂ© le Be-Bop dans son jeu, on y entend des notes graves jouĂ©es sans ĂąpretĂ©, sans son sec.
Il enregistre en 1950 avec le Big band du contrebassiste Chubby Jackson.
Dans cette formation, sont présents aussi le trompettiste Howard McGhee, le saxophoniste Zoot Sims et le tromboniste J.J Johnson.
Au cours du premier morceau “Flying The Coop”, on entend le baryton jouer des motifs de basse, parmi les riffs Ă©nergiques de la section des cuivres.
En 1954, lors du concert Ă  Paris, la configuration du combo est originale. C’est un Quartet sans instrument harmonique. Sont prĂ©sents la batterie, la contrebasse le trombone et bien sĂ»r le baryton. La prise de risques est importante. Au cours de “Bernie’s Tune”, les phrases du sax rebondissent en swinguant les harmonies du sax et du trombone sont trĂšs bien Ă©crites.
Une autre session qui me paraüt incontournable est la session avec Chet Baker, dont le titre est “Reunion With Chet Baker”.
La souplesse du baryton domine, les phrases swinguent dans l’allĂ©gresse. On entend le jeu aĂ©rĂ© lĂ©ger dĂšs ce premier morceau “Reunion”.
Entre thĂšmes originaux et standards, il est intĂ©ressant d’Ă©couter les dialogues, les contrechants entre trompette et saxophone. Les croches du baryton sont lĂ©gĂšres dansent sur ce tapis si doux de la contrebasse et des balais sur la caisse claire.
Malgré la tessiture grave, le crépitement est toujours agréable.
Tout seul, le baryton joue quelques notes d’introduction rondes sur “Stardust”, avant d’Ă©tablir le dialogue avec Chet.
Plus loin dans ce mĂȘme disque, le saxophoniste reprend “Ornithology”, dont le solo donne l’impression de lĂ©gĂšretĂ©. Tout est jouĂ© avec une sonoritĂ© des plus fines.
Le swing du batteur est maĂźtrisĂ© sur la cymbale, le contrebassiste joue des notes avec simplicitĂ©. Gerry en ses qualitĂ©s d’arrangeur, composa des motifs en contrechant avec la trompette.
L’annĂ©e 1957 est foisonnante en collaborations; Stan Getz, Harry “Sweets” Edison, Thelonious Monk, Paul Desmond partagent l’affiche avec le saxophoniste.
Dans l’album “Jazz Giants’58” le baryton trouve des intonations Blues au cours de “Sundae” qui s’inscrit dans style.
La mĂȘme annĂ©e, il joue avec Thelonious Monk les chefs d’oeuvre de ce pianiste de gĂ©nie.
Le baryton joue une version de “Round Midnight” en velours. Les notes et le son accentuent l’intimisme d’un tel chef d’oeuvre. Musicien de Be-Bop, Gerry pouvait jouer des phrases enflammĂ©es sur des tempos up swing. Les articulations trĂšs Be-Bop. Le jeu sur “I Mean You” laisse entendre des phrases non techniques, en croches le plus souvent. “Straight No Chaser” jouĂ© Ă  un tempo tranquille, laisse la place Ă  des phrases mĂ©lodieuses plutĂŽt classiques dans l’approche.
Autre moment magique, la rĂ©alisation du disque avec Paul Desmond sur “Blues In Time”.
Ces deux figures du Jazz Cool Gerry et Paul Desmond font danser leurs phrases sur ce swing enchanteur. Les deux saxophonistes n’ont pas d’instrument harmonique, la contrebasse balisant le chemin.
L’alto et le baryton mĂ©langent leurs deux sonoritĂ©s, donnant le sentiment de notes effleurĂ©es. Le swing est soyeux sur “Line For Lyons”.
En compagnie de Stan Getz, le tempo est plus relevĂ© l’up swing est bien prĂ©sent chez les deux saxophonistes. En plein climat Be-Bop, ils choisissent “Scrapple From The Apple” de Charlie Parker. Gerry rebondit sur la ligne de basse et la batterie. Stan est lui encore plus aĂ©rien. Les deux voix sur “That Old Feeling” sont savoureuses par les notes choisies et les espaces. L’entrĂ©e du baryton est trĂšs belle au cours de “A Ballad”.
En 1959, Gerry donne la rĂ©plique Ă  deux immenses prĂ©curseurs, le saxophoniste Ben Webster et l’artiste Johnny Hodges.
Avec Ben Webster, les morceaux sont des standards du Jazz Swing. Tandis que le souffle est fin au ténor, le baryton crépite un peu plus.
L’album en compagnie de l’altiste de Duke, dĂ©marre par un thĂšme des plus dĂ©contractĂ©s. Le souffle de Johnny est une merveille, les notes de Gerry rebondissent sur la rythmique.
Sur “Back Beat” assez Blues, Gerry ne joue que quelques notes.
Gerry Mulligan a toute sa vie multiplié les collaborations avec les autres Jazzmen. Il est aux cÎtés des représentants du Swing et du Be-Bop.
Avec Johnny Hodges presque tous les morceaux sont cool exceptĂ© “18 Carrots For Rabbit” un thĂšme un peu plus rapide. Énergique est la section rythmique, le baryton est mĂȘme plus doux que l’alto.
En 1960, le live au Village Vanguard démarre sur les chapeaux de roue.
Le baryton joue en plein Be-Bop, avec en fond une contrebasse qui résonne bien.
En 1961, le saxophoniste accompagne la chanteuse Judy Holliday et sont entourĂ©s d’un Big Band, aux arrangements dĂ©licats.
En 1962, Gerry Mulligan publie “Night Lights” dont le thĂšme Ă©ponyme est introduit par un piano qui caresse les touches. Vient ensuite, le bugle d’Art Farmer qui joue cette mĂ©lodie des plus romantiques. EntourĂ© aussi du guitariste Jim Hall et du tromboniste Bob Brookmeyer, le rĂ©pertoire est jouĂ© avec tendresse.
Les phrases de guitare sont mélodiques, le baryton joue avec une rondeur appréciable.
Faisons un saut de quelques années vers le futur et les années 70.
En 1974, Gerry collabore avec Astor Piazzolla pour l’album “Summit”, qui montre que le saxophoniste s’intĂ©ressait Ă  d’autres styles que le Jazz.
Nostalgie, mĂ©lancolie le baryton s’adapte Ă  la musique du maĂźtre Argentin, en y apportant ses notes graves. La nostalgie et la mĂ©lancolie sont prĂ©sentes.
Du Tango Argentin au Jazz, Gerry pouvait explorer d’autres horizons comme on peut l’entendre avec le pianiste et arrangeur Enrico Intra. La musique est Ă©nigmatique. Le premier thĂšme mystĂ©rieux se transforme en une sĂ©quence optimiste. Quelques sĂ©quences sont jouĂ©es ensemble par le baryton et le bandonĂ©on valent le dĂ©tour. Les contrechants sont dynamiques.
De cette pĂ©riode, il me semble incontournable de parler du concert au Carnegie Hall avec Chet Baker. Le moment le plus grandiose est le titre “For An Unfinshed Woman” aux couleurs de Blues mineur. Le baryton part en premier dans un solo presque mĂ©ditatif, oĂč chaque note est bien choisie. Le saxophoniste fait monter l’intensitĂ© rythmique, en entraĂźnant la contrebasse de Ron Carter et la batterie.
Gerry n’Ă©tait pas qu’un soliste et compositeur. Il Ă©tait aussi arrangeur pour grand orchestre et ce fut le cas notamment pour “Birth Of The Cool”.
En 1980 dans “Walk On The Water”, on entend la souplesse et la belle rondeur du son dans “Song For Strayhorn”. Les notes du sax se dĂ©ploient avec douceur sur ce morceau Bossa.
Le sax est vraiment dans cet esprit du Jazz Cool oĂč la technique n’est pas l’essentiel.
Un compositeur et arrangeur que j’aime beaucoup, Dave Grusin reprend “Five Brothers” de Gerry. MalgrĂ© les synthĂ©s qui ne sont pas adaptĂ©s au style de ce morceau Dave Grusin swingue avec son piano.

En 1987, Gerry se trouve entourĂ© d’un orchestre Ă  cordes. Dans une vidĂ©o qu’on trouve sur YouTube, le son du sax ne ressemble pas Ă  celui d’un baryton dans le morceau “Entente”.

En 1992, Gerry cĂ©lĂšbre Ă  nouveau le disque “Birth Of The Cool”. Le rĂ©pertoire est une articulation entre Be-Bop et Cool comme dans l’album originel.
L’annĂ©e suivante, il consacre un hommage Ă  la Bossa, en compagnie de la chanteuse Jane Duboc intitulĂ© “Paraiso jazz Brasil”. La voix sobre s’envole et nous propose des interprĂ©tations qui apportent une certaine lĂ©gĂšretĂ©, tout comme le saxophone.
C’est une grande dĂ©contraction qui se dĂ©gage de cet album. La voix est pure le baryton s’envole sur le tempo de “No Rio”.
Cet album montre une nouvelle fois le sens du raffinement de Gerry.

Le disque “Dream A Little Dream” est essentiellement fait de reprises de standards avec quelques compositions.
Les tempos sont toujours cool, les phrases séduisantes, le sens mélodique toujours présent.
Dans ce disque de grandes ballades, “Here’s That’s A Rainy Day”, “Georgia On My Mind” “My Funny Valentine” sont repris.
Le Blues est repris aussi, la sonoritĂ© est langoureuse. A partir d’une mĂ©lodie trĂšs connue, le sax ne cherche pas le coup d’d’Ă©clat mais se concentre sur le choix des notes.
“I’ll Be Around” met en valeur cette sonoritĂ©.

“Dragonfly” en 1995 commence par une mĂ©lodie smooth Jazz que Gerry et Grover Washington Jr jouent avec sensualitĂ©. Au piano on trouve Dave Grusin.
La suite est “Brother Blues”, un thĂšme au swing cool dont on entend un solo de baryton soyeux. La mĂ©lodie “Anthem” ressemble Ă  un thĂšme de “Folk Song”, une mĂ©lodie apaisante optimiste Ă©crite en trois temps.
LĂ  encore, le baryton a une sonoritĂ© des plus souples. Le discours Ă  la trompette assortie de la sourdine donne un cĂŽtĂ© Bluesy. À la guitare, Scofield joue des motifs aĂ©rĂ©s qui respirent comme Dave Samuels au vibraphone.
L’album est composĂ© de thĂšmes tranquilles imprĂ©gnĂ©s du style cool.
Les croches swinguent bien sur le morceau “Art Of The Trumpet” un belle synthùse du Be-Bop avec le cool.
J’aime les Ă©chappĂ©es du baryton qui dĂ©roule des notes lumineuses.
Le sommet de lyrisme est atteint par la fragilitĂ© traduite dans “Listening To Astor”. Le souffle de Gerry dĂ©ploie simplement quelques notes.
“The Ninth Life” apporte de l’optimisme, enchante vĂ©ritablement nos oreilles.

Gerry fut un grand soliste au baryton, capable d’arranger des morceaux pour grand orchestre. Sa participation Ă  “Birth Of The Cool” fit de lui un grand reprĂ©sentant de ce courant. Rapidement, il gagna la confiance et le respect des musiciens, Miles Chet, Baker, Lee Konitz, Stan Getz, Johnny Hodges, Ben Webster.
Sa sonoritĂ©, sa conception, son approche le placent au milieu de deux esthĂ©tiques. A partir de la racine du Be-Bop, le sax s’est orientĂ© vers le Jazz Cool et a conservĂ© tout au long de sa carriĂšre cette trajectoire.

Parmi tous les morceaux dont on a parlĂ© au cours de ce texte, j’ai choisi une composition originale “Night Lights”, une sĂ©quence de 1962, au cours de laquelle l’Ă©motion est au rendez vous.

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