JIMMY GIUFFRE/ ENTRE BE-BOP ET WEST COAST
Jimmy Giuffre était un saxophoniste et clarinettiste qui eut une approche très personnelle de l’improvisation et de la composition. Né en 1921, il fut arrangeur de Woody Herman et contribua au Jazz West Coast, un Jazz inspiré du Be-Bop mais joué avec plus de douceur et de souplesse.
Il était animé par une conception de l’espace et des respirations sans volonté de démontrer quoique ce soit. Ce jazzman se distingue par son esthétique particulière avec laquelle il déroule des phrases épurées qui respirent.
Les arrangements légers une clarinette au son moelleux et harmonieux.
Il ne s’agit pas de passer en revue la discographie prolifique de cet artiste mais de donner quelques éléments de sa musique.
Son premier album est sobrement intitulé “Jimmy Giuffre”. Le thème “Four Brothers” de Woody Herman est un classique du Be-Bop, qui aussi se rapproche du West Coast par la délicatesse des phrases et des sons. La rondeur de la clarinette à laquelle se mêlent les trompettes feutrées tissent un joli univers sonore. La trompette de Jack Sheldon, la clarinette et l’alto de Bud Shank déroulent des motifs très harmonieux. Dès cet album, le clarinettiste propose un Jazz quelque peu éloigné des considérations techniques.
La sonorité, la mélodie et l’agencement des voix tout est équilibré avec justesse.
“Tangents in Jazz” commence par un thème d’esthétique Be Bop.
Sans instrument harmonique, la trompette et la clarinette jouent des thèmes légers et doux. Il est intéressant d’entendre l’espace que créent les quatre instrumentistes.
Les phrases sont mélodieuses, le rythme cool nous apaise.
En 1956, le clarinettiste sort “The Jimmy Giuffre Clarinet”, le clarinettiste commence tout seul sur un tempo cool. “So Low” est l’introduction à l’album, de jolies phrases qui s’enchaînent.
Ce qui attire c’est la sonorité de sa clarinette suave moelleuse. Les arrangements sont originaux, “My Funny Valentine” en est une belle illustration des sons qui s’enlacent et qui ne s’opposent pas. Le saxophone ténor et le baryton jouent des motifs synonymes de tristesse comme si ils se lamentaient.
“Quiet Cook” est un thème où si la contrebasse va à vive allure, on se trouve apaisés par la clarinette au son hypnotique. La palette sonore est assez innovante pour l’époque. La clarinette basse et la clarinette s’épient, se rapprochent et s’éloignent.
Les différents instruments sont la clarinette, la clarinette basse, sans piano basse et batterie.
Le clarinettiste avait une approche assez aérée du jeu où les silences et les espaces ont leur importance. Les disques qui suivent s’inscrivent dans ce sillage.
Le Jazz qui est joué est tout en finesse. Ecoutez le disque “Jimmy Giuffre 3” où la rythmique est assurée par le guitariste Jim Hall et le contrebassiste Ralph Pena.
La chanson “The Song Is You” swingue à toute allure. Le saxophoniste nous touche toujours par son phrasé et son souffle.
Jimmy Giuffre réalise aussi “Western Suite”, un Jazz qui rappelle à la fois les racines le Ragtime, le New Orleans, mais aussi des directions vers des choses nouvelles.
Les textures que Jimmy confectionnait, sont particulières et séduisantes. Son Jazz rime avec douceur. Les ambiances de Far West et de Western sont bien retranscrites. On entend le côté angoissant qui gagne du terrain.
Intimiste, il l’est aussi à l’écoute de “7 Pieces” en trio avec Red Mitchell et Jim Hall. Le souffle est crépitant et soyeux.
Jimmy Giuffre aimait les petites formations Il enregistra d’autres sessions en trio en compagnie du guitariste Herb Ellis. La toile sonore de l’alto et du ténor s’ajoute au jeu Blues d’Herb Ellis.
En compagnie de Jim Hall et Ray Brown, il enregistrera “The Easy Way” un Jazz délicat raffiné comme souvent chez cet artiste.
Les sonorités des cuivres sur l’album “Lee Konitz Meets Jimmy Giuffre” sont de la dentelle. Les nappes sont d’une rondeur magnifique. Au ténor Warne Marsh et Ted Brown, à l’alto Lee Konitz, sans oublier au piano Bill Evans.
L’esthétique de cette musique est éloignée de toute idée de virtuosité et consiste à sublimer les mélodies, par des contrechants des autres instruments tels que le sax alto, quelquefois le ténor et parfois le trombone.
La modernité est présente chez ce musicien, il est explorateur des sons et des harmonies.
Pour étayer ces propos, on peut écouter ce qu’il joue avec Steve Swallow et Paul Bley deux explorateurs des harmonies modernes. Les voix de chacun sont dans une complémentarité très belle.
La contrebasse créé l’espace, le piano triture les accords et le clarinettiste développe des motifs qui sortent du commun. Vous pouvez retrouver ces climats énigmatiques sur “Emphasis Stuggart 1961” dont la part de mystère est amplifiée par la reverb.
C’est une musique de recherche d’explorations de sonorités et d’harmonies.
Notons que dans les années 80, le clarinettiste saxophoniste s’oriente vers d’autres possibilités sonores. Sur “Dragonfly, on entend le Rhodes accompagner un sax ténor rugissant. Les effets des claviers sont nombreux, la musique reste mélodieuse.
La basse électrique accompagne avec précision et discrétion.
Des climats sonores envoûtants s’installent si on on écoute “Moonlight”. Apaisant aussi le thème “Sad Truth”.
Presque angoissante est l’ambiance du morceau “J To J” où les moogs de clavier retentissent puis arrive le sax ténor au son métallique. Sur “Squirrels” on entend aussi des éléments de fusion, un soprano imitant celui de Wayne Shorter, une cymbale métallique, une basse qui avance et un clavier psychédélique.
Entouré du même personnel, Jimmy enregistrera “Quasar” un album aux ambiances elles aussi proches de la Fusion. Du soprano, éclôt une vague sonore particulière.
Entre Jazz acoustique et Jazz Rock les sonorités sont assez surprenantes, celles du clavier.
Si le style est Jazz Rock on note toujours un sens de la douceur dans le jeu. Sur “2nd Step” j’entends le Blues mélangé au swing cool.
En 1989 les claviers propagent à nouveau leurs nappes et leurs effets sur “Liquid Dancers” proche des climats à la Weather Report.
A la fin des années 80, le jazzman revient vers des univers plus torturés du point de vue harmonique si on écoute les disques avec André Jaume.
La grandeur de l’oeuvre de Jimmy est attachée à la période des années 60 et 70.
Ce qu’il réalisa plus tard est toujours intéressant du point de vue esthétique, même si tout vient de son travail exploratoire depuis le milieu des années 50.
Son oeuvre tournait autour des recherches esthétiques, son style épuré en faisait un musicien à part. Il ne cherchait pas la vélocité mais les contorsions harmoniques, les superpositions de voix, les agencements de voix des différents cuivres. Il posa les repères d’un Jazz s’orientant vers l’improvisation libre qui soit authentique mais aussi accessible.